Nous avons recemment publié un papier dans EPSL (Earth and Planetary Science Letters) intitulé « Carbon polymorphism in shocked meteorites: Evidence for new natural ultrahard phases ». J’en fais un long résumé ci-dessous. (English version available here). Les commentaires sont les bienvenus
Nous avons étudié les différentes occurences du carbone présents dans les ureilites et plus particulièrement dans l’ureilite Havero. Pour ceci, nous avons réalisé des lames minces polies par polissage à la pâte diamantée. Nous avons ensuite repéré deux zones carbonées distinctes par microscopie réfléchie. Des observations plus précises ont ensuite été réalisées sur un MEB environnemental, pour éviter le dépôt d’une couche de carbone sur l’échantillon à observer pour éviter toute contamination de l’échantillon par du carbone amorphe. Les observations microscopiques montrent qu’on peut délimiter différentes régions au sein des zones carbonées que nous avons étudiées. La Figure 2.41 montre une de ces zones observées ainsi qu’un schéma d’interprétation de la structure.
On constate que les zones carbonées sont faiblement polies, granuleuses et qu’elles peuvent présenter des proéminences au dessus de la matrice silicatée jusqu’à des hauteurs de 13 um. L’arrangement spatial est concentrique avec des zones à faible relief (Zone A) vers l’extérieur de la zone carbonée, des zones à forts reliefs vers le centre (Zone B) et un mamelon à très fort relief (Zone C) tout au centre. Afin de vérifier la pureté chimique de ces zones, nous les avons extraites au moyen d’une microforeuse et les avons montées dans des disques d’acier troués. Ceci permet une étude par fluorescence X et diffraction des rayons X, le trou permettant au faisceau de passer à travers l’échantillon sans interaction avec le disque d’acier. Grâce à ce montage, nous avons pu réaliser des cartographies en fluorescence et en transmission des rayons X (Figure 2.42). Ces résultats montrent d’une part que la zone a une densité faible puisque la transmission est maximum dans la zone carbonée. Ceci permet d’imager la zone carbonée entière et donne un indice sur sa pureté. D’autre part, on constate que cette même zone est très pauvre en Ca, Mn, et en éléments plus lourds tels que le Fe par exemple.
Nous avons alors mené des études en spectroscopie Raman au sein des différentes zones identifiées précédemment. La zone A est essentiellement constituée de graphite désordonné (bandes G, D et D’ présentes) et de petits diamants (un seul pic à 1331 cm-1). La zone B est quant à elle constituée d’un mélange de graphite ordonné et de diamants, nanodiamants ou lonsdaleite, le pic Raman pouvant aller de 1331 cm-1 à 1322 cm-1. Enfin, la zone C est composée d’une phase présentant les pics caratéristiques du diamant du graphite mais aussi de nombreuses bandes additionelles. Certaines de ces bandes ont été attribuées à des défauts dans le graphite (1080, 1200, 1350 et 1500 cm-1), de la lonsdaleite (1280 cm-1) ou à des effets de taille (580 cm-1), la plupart de ces bandes n’ont jamais été observées ni prédites pour aucun composé carboné.
Nous avons poursuivi ces études de spectroscopie Raman par des investigations par diffraction des rayons X. Les données obtenues sur la première zone carbonée confirment les données Raman à savoir la présence de diamant, de graphite et d’une nouvelle phase. L’analyse de l’image de diffraction montre une forte orientation préférentielle entre les directions [001] du graphite et [111] du diamant comme en témoigne l’élargissement simultané pour des angles identiques des cercles de diffraction. Le spectre intégré a pu être indexé avec du fer bec provenant de la partie inférieure de la lame, du diamant 3C, du graphite non compressé et un nouveau polytype du diamant le 21R. C’est la première fois que ce polytype est observé que ce soit dans des matériaux synthétiques ou naturels. Il n’était jusqu’à présent que prédit théoriquement.
Dans la deuxième zone carbonée, la plupart des spectres acquis peuvent être indexés avec du graphite et du diamant ou de la lonsdaleite. Dans la zone la plus élevée, du graphite compressé, du diamant et de la lonsdaleite ou du diamant ainsi qu’une nouvelle phase ont été observés. Cette nouvelle phase a un spectre de diffraction X différent de tous les polymorphes du carbone connu y compris le 21R décrit précédemment. Cette phase a été indexée comme appartenant au groupe d’espace cubique Pm3m bien que l’asymétrie de la ligne (111) puisse la faire appartenir au groupe rhomboèdrique R3m. C’est dans un tel cas que le meilleur raffinement structural a été obtenu avec a = 3.5610(9) et a = 90.2(2)°. Ce nouveau polymorphe n’a jamais été observé ni même prédit par les calculs ab initio.
N dobs., A h k 1 dcalc, A I, % Phase
1 | 3,276 | 002 | 2,9 | Gr | |
2 | 2,182 | 1 00 | 3,1 | L | |
3 | 2,055 | 1 1 1 | 2,055 | 100 | N* |
4 | 1,928 | 1 0 1 | 2,3 | L | |
5 | 1,780 | 200 | 1,780 | 7,2 | N |
6 | 1,451 | 2 1 1 | 1,543 | 5,1 | N |
7 | 1,257 | 2 2 0 | 1,258 | 3,7 | N |
8 | 1,185 | 3 0 0 | 1,186 | 14,2 | N |
9 | 1,072 | 3 1 1 | 1,073 | 10,8 | N |
10 | 1,024 | 2 2 2 | 1,027 | 2,7 | N |
Tab. 1: Indexation des plans cristallographiques de la nouvelle phase de carbone ultra-dure
L’existence de graphite compressé, non compressé et de diamant suggère un scénario complexe de formation de ces différents polymorphes du carbone. L’existence de graphite compressé suggère fortement un processus de choc. De plus, l’étude de la position de la bande D du diamant ainsi que de sa largeur à mi hauteur (FWHM) est en bon accord avec cette hypothèse. En effet, en comparant, la dispersion de ces deux valeurs aux données compilées par Miyamoto et al. [144], on constate que la quasi totalité de nos mesures tombent dans le champ de diamant formé par impact. Les quatre points hors de cette zone correspondent aux bandes des nouvelles phases.
Une étude similaire de la position
des bandes G du graphite ainsi que de leur FWHM permet dec alculer une compression correspondant à une pression résiduelle de 2.5GPa. Par ailleurs, si on utilise l’équation d’état du graphite pour les paramètres de mailles mesurés en diffraction des rayons X, on trouve une pression résiduelle comprise entre 2.5 et 4GPa ce qui est en très bon accord avec les données Raman. On peut donc penser que le graphite a été compressé à partir de graphite automorphe par le choc et que cette compression est un stade initial vers la formation de diamants et de nouvelles phases.
Cependant, nous avons aussi noté la présence de graphite non compressé. Nous pensons que ce graphite provient d’une rétromorphose du diamant durant la phase post-choc comme suggéré par Nakamura et al. Un modèle de conversion du diamant en graphite à haute température (2000K) a été proposé comme pouvant expliquer la formation d’îlots de graphite dans les diamants CVD. Ce modèle prédit aussi la formation d’une relation de parallélisme entre le plan (111) du diamant et (002) du graphite. De plus, Guillou et al., ont montré qu’en compressant du carbone noir (black carbon) on pouvait aussi obtenir une relation entre ces deux plans cristallographiques et un spectre Raman relativement complexe. Par contre, la compression d’autres précurseurs de type graphite polycristallin ou graphite orienté ne permet pas les mêmes observations montrant que le matériel de départ est extrêmement important.
Ainsi, les phénomènes de choc sur le système carbone dans les ureilites sont des contre-points essentiels aux expériences statiques et aux expériences de choc puisqu’ils ouvrent de nouvelles aires sur le diagramme de phase du carbone notamment étant donné le temps de choc permis dans les cas naturels.